Jean ROBINET

20 janvier 1913 – 13 mai 2010

1 – Biographie

Article écrit par Annie Goutelle, dans le livre 52 Écrivains haut-marnais (éd. Guéniot, mars 2005).

« Jean Robinet est né le 20 janvier 1913 à Percey-le-Grand, en Haute-Saône, de parents cultivateurs. Il est l’aîné de cinq enfants.

Très attaché aux chevaux, il a grandi entre leurs jambes et pendu à leurs colliers. Il fréquente l’école primaire du village. Il aime la lecture mais le temps lui manque pour lire car, très tôt, il est requis pour les tâches de la ferme. On n’y flânait pas et pourtant, on y restait dans le besoin matériel, comme chez la plupart des paysans de l’époque. Il n’y avait d’ailleurs pas de livres chez lui et guère plus au village.

Il obtient son certificat d’études à 12 ans et travaille à la ferme. Très tôt, il est pris par un amour viscéral pour la terre, pour la nature mais souffre en même temps de ses carences intellectuelles. Éloigné des lieux où se manifestent les valeurs de l’esprit, il grappille ici et là comme il peut. À dix-huit ans, il s’inscrit à des cours par correspondance que son père accepte de payer. Faute de temps, faute de guides, il doit vite abandonner.

Il effectue son service militaire dans un régiment d’artillerie hippomobile. Il fait le peloton des élèves gradés pour combler le temps et avoir une occupation cérébrale. Il se marie en 1938 et vit sur la ferme de ses beaux-parents, en Côte-d’Or, jusqu’à la mobilisation de 1939. Fait prisonnier en juin 1940, il est emmené en Allemagne. Il refuse de travailler pour l’ennemi. C’est très dur pour lui. Il souffre de la faim et il pense à sa jeune épouse et à sa première fillette. »

« La France envoie des livres et une petite bibliothèque s’organise au camp. Jean Robinet lit et rencontre des camarades de tous les niveaux. Avec certains, il fonde un cercle littéraire clandestin et s’enrichit dans les contacts. Un jour, lors d’une conversation, il pense à son travail avec les chevaux, ses amis de la ferme. Sur du papier d’emballage, il rédige « Compagnons de labour », roman d’un paysan et de ses attelages. L’ouvrage parvient en France dans la valise d’un camarade malade rapatrié. Lauréat du Prix Sully-Olivier de Serres, le livre sera publié en 1946 par les éditions Flammarion. »

« De retour de captivité en 1945, fatigué, il est hospitalisé à l’hôpital militaire de Dijon. Il lui faudra quatre années avant de pouvoir vraiment reprendre la tâche, tous projets d’avant guerre détruits. En 1949, il s’installe à Saint-Broingt-le-Bois, en Haute-Marne, sur dix-huit hectares. Sur un terroir qui meurt, des terres sont rapidement libres et sa ferme s’agrandit. Il le faut pour élever au mieux ses enfants qui seront sept.

Compagnons de labour a fait connaître l’auteur. Des revues et des journaux lui demandent sa collaboration. Au cours d’une maladie, il écrira L’Autodidacte, récit de son aventure intellectuelle, puis, plus tard, Les Grains sous la meule, roman de la condition paysanne. Aujourd’hui, Jean Robinet a trente-et-un ouvrages derrière lui. Il n’a jamais emporté un crayon dans les champs, privilégiant toujours la charrue par rapport à la plume. Ses ouvrages ont tous un fond de terre. »

Jean Robinet meurt le 13 mai 2010, à l’âge de 97 ans.

2 – Œuvres

Jean Robinet est l’auteur de trente-et-un ouvrages (romans, poésie, chroniques, enquêtes, légendes…) dont :

Compagnons de labour, roman chez Flammarion – Les Grains sous la meule, roman chez Flammarion – Le Vin du Tsar, roman chez Pythagore – Mont-Cierge, roman chez Pythagore – La Rente Gabrielle, chroniques illustrées par Jean Morette chez Pythagore – L’Autodidacte, roman, suivi de « Les Marques profondes » poèmes chez Pythagore – Poils et panaches, chroniques illustrées par Jean Morette éditions Serpenoise – Les Saisons, chroniques illustrées par Jean Morette éditions Serpenoise – Terres buissonnières, chroniques illustrées par Jean Morette éditions Serpenoise – La Vingeanne pas à pas, promenade chez Dominique Guéniot – Les Maîtres du saule, l’osiériculture et la vannerie chez Dominique Guéniot – Voyage à travers la Haute-Marne aux éditions SAEP – La  Marne pas à pas illustrations de Jean Bouchant aux Presses du Village.

3 – Hommage

L’EHPAD Le Lien, situé rue du Champ de Mars à Nogent, dispose d’une belle salle de réunion, équipée pour la projection numérique et capable de recevoir 100 à 160 personnes.

Le conseil d’administration du Lien a souhaité baptiser cette nouvelle salle de réunion, du nom de « Jean Robinet ».

« Nous voulons valoriser nos personnes âgées en nous appuyant sur son image de haut-marnais engagé, malgré une vie faite d’épreuves, en faveur de ses contemporains pour la défense du terroir, des agriculteurs et d’un mode de vie authentique. N’ayant pas eu la chance de poursuivre ses études, il a démontré une soif d’apprendre et s’est attaché à promouvoir les valeurs éducatives. Sur la fin de sa vie, il a été une personne âgée à la personnalité attachante, bienveillante et affectueuse, qui a livré une réflexion sur le sort des « vieillards dans les hospices ». Son être et son œuvre livrent aux jeunes d’aujourd’hui des clefs pour comprendre les valeurs qui habitent nos anciens et les mieux aimer aujourd’hui.

Pour promouvoir cette démarche, l’association a organisé au mois de juin 2014 une exposition et un événement.

La médiathèque de Nogent nous a aimablement prêté le film « Rencontre avec Jean Robinet » et l’exposition itinérante qui appartient à la MDHM (médiathèque Départementale de Haute-Marne), dont nous avons disposé pendant tout le mois de juin. »

Des professeurs de lettres du collège Françoise Dolto de Nogent s’en sont servies pour des séances de travail (4 classes de collège à ce jour).

L’inauguration a eu lieu le 13 juin à partir de 17h30. Une projection du film a été suivie d’un dîner-débat (80 invités extérieurs) sur Jean Robinet et le sens de son oeuvre. En ouverture, Philippe Savouret a présenté un diorama spécialement réalisé pour l’occasion, et qui retraçait de façon très complète la vie et l’oeuvre de Jean Robinet.

Article du Journal de la Haute-Marne, du 15 juin 2014.

Luc Chatel rend hommage à Jean Robinet

Fille et fils de Jean Robinet

Anne Duvoy lit un extrait de livre de jean Robinet

4 – Associations

 

(L’information ci-dessous a été fournie par A. Massy, présidente actuelle de l’AHME).

— « Jean Robinet est l’un des co-fondateurs de l’Association des Écrivains de Haute-Marne (par suite Association haut-marnaise des écrivains, AHME), avec Jean-Marie Debande et Robert Collin. Jusqu’à sa mort, il en est un fidèle membre, élu « Président d’honneur » en 2008.

L’AHME reconnaissante a mis sur sa tombe une plaque avec « À Jean Robinet : « Terre garde-le bien, il t’a tant aimée » ».

 

— Jean Robinet était également le président fondateur de l’Association Internationale des Écrivains Paysans d’expression française.

5 – Extrait du dernier ouvrage de Jean Robinet : La Terre au cœur, éditions de Paris. Pourquoi tant d’amour ?

 

«  Ce livre achevé — mais l’est- il ? oh, non! Personne ne pourra jamais tout dire de la terre —, j’y ajouterai simplement quelques phrases, une considération d’apparence toute mineure et qui ne manque cependant pas de poids.

  C’est un souvenir, vieux déjà, mais que je garde bien vivant. Un jour, à table, au repas de midi, je parlais de la terre devant les derniers de mes enfants. J’exposais l’ardeur et l’espoir qui nous habitaient au début de notre installation, leur mère et moi. Je racontais comment le premier hiver après notre mariage, sachant qu’un premier enfant devait nous naître, je faisais le maximum d’efforts pour la sécurité du foyer, et comment cette perspective d’une naissance me transportait.

  Je disais qu’aux mois neigeux, le troupeau si mince ne prenant pas beaucoup de temps, j’allais en forêt couper le bois pour le chauffage de la maison. Il faisait si mauvais, la neige était si épaisse que personne ne sortait de chez soi seul dans les affouages, je dégageais le pied des arbres afin de pouvoir frapper de la cognée. Et ma femme rappela la joie que nous avions connue autour du premier veau né à l’étable et autour de sa mère. Elle raconta les caresses accordées aux deux bêtes, et ce souci qu’elle avait d’aller couper à la faucille, dans une prairie voisine, l’herbe fraîche qui donnerait le lait à la Bise, puisque c’était là son nom ! Ces bêtes, la vache et le veau, c’était l’avenir, c’était l’espoir. Nous n’avions pas le sou, mais un idéal, et il fallait nous en tirer, tout en étant suspendus à notre labeur, aux fruits que ce labeur parviendrait à tirer pour nous de la terre.

  Et comme nous étions partis dans les souvenirs, j’évoquai également un geste de ma part que je n’oublierai jamais. C’était un dimanche matin, j’allais voir aux Terres blanches si l’avoine semée sortait de terre, cette avoine devant être ma — notre — première récolte personnelle. J’arrivais par un terrain plat, et le champ se trouvant à l’amorce d’une pente, légèrement en revers, je ne pouvais le découvrir que parvenu tout à fait sur sa rive. Exposé au soleil levant, quand il m’apparut, instantanément, ma poitrine se gonfla, ma respiration une seconde demeura suspendue, et j’eus un geste involontaire : je fis le signe de Croix. L’avoine était bellement levée, et, mu par un sentiment que je n’analysai que par la suite, je rendais ainsi spontanément une action de grâce. À Dieu, bien sûr, et à la terre qui me faisait ce don.

( … )

  Et Daniel eut cette opinion :

– Papa, tu aimes la terre en poète, peu de paysans en parlent comme tu fais. Mais cela vient sûrement de toutes les difficultés que vous avez rencontrées, maman et toi. Vous ne possédiez rien en vous installant, vous avez frôlé la misère, vous attendiez tout de votre travail et de vos champs, alors il fallait bien que vous les aimiez d’une manière toute particulière, il était bien fatal qu’ils vous marquent et vous imprègnent. Aujourd’hui, personne ne pourrait ni ne voudrait plus démarrer comme vous avez fait. Celui qui n’a pas de terres, un troupeau et du matériel au départ, ne peut plus être agriculteur. Il va ailleurs, mais s’il a cela, parce qu’il n’a pas eu à s’échiner et à se priver pour le gagner, qu’il n’a pas eu à se courber comme maman et toi sur la glèbe, il ne peut témoigner à la terre les sentiments que tu lui témoignes. Si son sort reste lié à elle, ce ne peut pas être de manière si proche ni si affective que la tienne. Du moins ne peut-il pas palper, exprimer comme toi les choses.

  Ce que Daniel pensait, ce qu’il croyait, ce qu’il disait, je l’ai toujours cru moi aussi. Je ne le sentais peut-être pas à sa façon, et peut-être m’a t-il alors fait prendre conscience de certains des aspects, ou plutôt des causes, de mon amour. Bénies soient donc les peines que l’on a eu la volonté et la force de dominer et qui peuvent ainsi faire aimer la terre. Bénie soit la terre. »