VOLTAIRE (1694-1778) et
Émilie du CHÂTELET (1706-1749)
(Croquis dessiné par Claude et Roger PETITPIERRE)
Sommaire
(Page réalisée par Annie Massy et deux croquis de Claude et Roger Petitpierre)
I – Lieux associés à Voltaire et Émilie du châtelet, en Haute-Marne
II – Biographie
a) Voltaire
b) Émilie du Châtelet
c) Vie de Délices à Cirey
III – Ce que l’Europe doit au séjour à Cirey de Voltaire et Émilie du Châtelet
IV – Extraits d’œuvres
V – Les Archives d’Émilie du Châtelet
I- Lieux associés à Voltaire et Émilie du Châtelet
en Haute-Marne
Le lieu haut-marnais principal de ce couple mythique est Cirey-le-Castel, aujourd’hui Cirey-sur-Blaise. Il s’agissait à l’origine d’un relais de chasse que Voltaire a arrangé et agrandi. Il est toujours habité par des nobles et on peut le visiter : voir notamment la galerie où Voltaire faisait ses expériences scientifiques (sans son matériel) et sous les combles, les restes du petit théâtre où il s’amusait à jouer et représenter ses pièces. Il s’y trouve un rare exemplaire d’une Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, entière, à laquelle a participé Voltaire. Par contre, pas de meubles ayant appartenus au philosophe ou à Émilie : pillés à la Révolution.
Pour se mettre dans l’ambiance du XVIIIe siècle, il convient de visiter aussi l’église et ses tableaux de Le Brun et Menissier ainsi que le banc où s’asseyait Voltaire (oui, ce philosophe déïste est allé à l’église à Cirey !) ; aller voir les dauphins sculptés par Menissier sur le pont au centre du village ; le cimetière avec le somptueux tombeau du duc du Châtelet, fils d’Émilie, et de ses héritiers, les marquis de Damas ; faire le tour du village sur les voies communales ce qui permet d’apercevoir le parc du château sous un autre angle et imaginer le couple d’amis, gambadant et jouant.
Ne pas quitter le village sans se promener dans les rues aux noms de Voltaire, Émilie du Chatelet, Adélaïde de Simiane (nièce adoptée et héritière de son fils)… Cette commune superbement restaurée, garde encore des puits anciens, des croix de chemin, un centre culturel avec des jardins botaniques et des maisons traditionnelles, le tout plongeant le visiteur dans un monde ancien où se mêlent art et philosophie.
(Croquis du Château de Cirey avec les aménagements réalisés par Voltaire, dessiné par Claude et Roger PETITPIERRE.)
II – Biographie a) Voltaire
Étant donné la célèbrité de Voltaire, on se contentera dans cet article de présenter les grandes lignes de sa vie qui le rattachent à Cirey.
* 1726-1728 : exil en Angleterre. Voltaire défenseur et diffuseur des Lumières (= idées des philosophes) s’est disputé avec un duc qui l’a ensuite fait battre par ses domestiques. C’est pourtant Voltaire qui est condamné et doit s’exiler. À son retour, il entend bien publier un ouvrage qui ne plait pas à la noblesse : Les Lettres Philosophiques ou Lettres Anglaises ; il y montre la supériorité du gouvernement d’Outre-Manche et la nécessité de réformes en France. L’ouvrage provoque un énorme scandale, il est condamné au bucher et son auteur, sous le coup d’une lettre de cachet, doit fuir Paris ou se retrouver en prison.
* Mai 1734 : Voltaire trouve refuge à Cirey-le-Chastel, invité par Émilie du Chatelet. Il s’y installe quinze ans, séjour entrecoupé par des voyages dans différentes cours, Lorraine, Prusse et même Paris.
* 1749 : mort d’Émilie, Voltaire et forcé par ses héritiers, de quitter Cirey. Il va à Postdam auprès de Frédéric II qu’il prend pour un « despote éclairé » (modèle de souvenir absolu qui gouverne pour le bien du peuple. )
II – Biographie b) Émilie du Châtelet
Gabrielle Émilie de Breteuil, marquise du Châtelet est une femme exceptionnelle. Libre, érudite et intelligente, elle parle plusieurs langues et est une scientifique accomplie, ce qui n’est pas fréquent et même mal vu, pour une femme au dix-huitième siècle. Mariée jeune et ayant donné des héritiers à son mari, elle jouit d’une grande indépendance en accord total avec son époux qui vit ailleurs. Avec Voltaire, elle forme aussi un couple très libre. Elle s’intéresse à l’histoire, la philosophie, les sciences expérimentales, la physique, l’astronomie et les mathématiques.
Il est donc réducteur voire inexacte de parler d’Émilie du Châtelet comme de la compagne de Voltaire. Certes, une grande amitié amoureuse les lie mais elle a une œuvre personnelle elle aussi exceptionnelle. La part la plus connue est la traduction d’Isaac Newton : elle ne se contente pas de le reproduire, elle l’explique et le commente, ce qui le vulgarise et le rend accessible au plus grand nombre.
Elle tient absolument à finir cet ouvrage alors qu’elle est prête à accoucher (d’un chevalier qui n’est pas Voltaire). La naissance se passe mal. Émilie meurt des suites de ses couches (comme de nombreuses femmes au dix-huitième siècle !) et la petite fille décède quelques jours plus tard.
II – Biographie c) Vie de délices à Cirey
La propriété n’est pas très confortable mais le très riche Voltaire sait y remédier, en le restaurant et l’agrandissant. Il en fait un lieu de résidence luxueux et joyeux où il fait bon vivre et être invité. Loin des intrigues de la cour de France, proche de celle de Nancy où réside le beau-père de Louis XV, ce lieu entouré de champs et de bois séduit facilement Voltaire.
À Cirey, Voltaire et Émilie mène une vie de plaisirs, de promenades champêtres, de chasse mais aussi d’études et de créations. Ils ne vivent pas reclus, loin de là, entourés de livres et d’amis que le philosophe distrait par des pièces de son invention. Sous l’influence d’Émilie, Voltaire se passionne pour l’histoire et se risque à des expériences scientifiques.
Voltaire et Émilie forme un couple de beaux-esprits mais qui n’est pas dénué de tempêtes, chacun menant une vie libérée de son côté. Mais il faut savoir rester digne : lorsqu’ils se disputent, c’est en anglais pour ne pas se dévoloriser auprès des domestiques ! Leurs idées sur la société ne sont pas convergeantes. Voltaire critique et propose des aménagements alors qu’Émilie semble ne pas se soucier du peuple.
Deux anecdotes en témoignent. D’une part, elle n’hésitait pas à se montrer nue, voire à se baigner ainsi dans les douves, en préence de domestiques, manifestant ainsi qu’elle les considérait plus comme des choses que des êtres humains. D’autre part, elle ne savait pas forcément reconnaitre leurs efforts. À la cour du roi, elle joue beaucoup et perd énormément (elle était très dépensière). Voltaire veut la mettre en garde et lui dit en anglais que l’on triche à sa table. Mais il n’est pas seul à connaitre cete langue. Scandale ! Le couple doit entrer précipitamment à Cirey. Émilie a perdu en une soirée l’équivalent de huit-cent-mille €uros. C’est l’hiver, il neige et les charriots surcharges de meubles (on se déplace alors avec son mobilier) s’embourbe. On fait venir des serfs de Cirey qui s’escriment deux heures sous les intempéries. Cela ne suffit pas et on les rappelle… pour l’équivalent de dix €uros chacun ! Quelques années plus tard, la Révolution les vengera de façon atroce en guillautinant son fils, le duc du Châtelet et son épouse.
Si l’histoire a eu du mal et a pris du temps à reconnaitre les mérites d’Émilie du Châtelet. Voltaire par contre, lui, est anéanti par sa mort, la première fois que la Divine Émilie l’a fait souffrir, dira-t-il ensuite.
« L’univers a perdu la sublime Emilie
Elle aima les plaisirs, les arts, la vérité.
Les dieux en lui donnant leur âme et leur génie
N’avaient gardé pour eux que l’immortalité »
III – Ce que l’Europe doit au séjour à Cirey de Voltaire et Émilie du Châtelet
Émilie du Châtelet en rendant Newton accessible, contribue au changement de pensée qui s’effectue au dix-huitième siècle. On peut dire que grâce à elle, le basculement du cartésianisme à la pensée de Newton, se fait sur le territoire de ce qui est aujourd’hui la Haute-Marne.
Voltaire, quant à lui, produit à Cirey une part très importante de son œuvre. Il y séjourne entre 1733 et 1749. Il n’y est pas continuellement. Néanmoins, on constate que pendant cette période, il écrit et publie une oeuvre dense et éclectique. À Cirey, il aime faire jouer et même se mettre lui-même en scène ; Il n’est donc pas surprenant qu’il y écrive nombre de comédies et tragédies. En outre, il n’hésite pas à écrire et publier des textes divers, discours, poèmes, contes et épitres où il donne son avis sur les arts, la politique et la religion. À Cirey, encouragé par Emilie du Chatelet, il produit aussi des ouvrages scientifiques et historiques. La liste de ses œuvres écrites à Cirey témoigne de la richesse d’inspiration qu’il y a trouvée.
Photo ci-contre : la porte du château de Cirey sur le fronton duquel sont inscrits ces vers de Voltaire :
« Azile des beaux-arts, solitude où mon cœur
Est toujours demeuré dans une paix profonde
C’est vous qui donnez le bonheur
Que promettait en vain le monde. »
Voici la liste des textes écrits par Voltaire lors de son séjour à Cirey :
- Théâtre :
- 1733 Le Temple du Gout
- 1733 : Tanis et Zélide ou les Rois pasteurs
- 1733 : Alamire
- 1733-1736 : Samson
- 1734 : Adélaïde du Guesclin
- 1734 : Le Comte de Boursoufle
- 1736 : l’Enfant prodigue
- 1736 : La mort de César
- 1736 : Alzire ou les Américains
- 1737 : Mérope
- 1738 : L’Envieux
- 1738 : Les Originaux
- 1739 : Le Fanatisme ou Mahomet le Prophète
- 1740 : Pandore
- 1744 : La Princesse de Navarre
- 1745 : Le Temple de la Gloire
- 1740 à 1747 : La Prude ou l’Homme au franc procédé
- 1748 : Sémiramis
- 1748 : La Femme qui a raison
- 1749 : Thérèse
- 1749 : Nanine ou l’homme sans préjugé
- 1749 : Oreste
- Philosophie :
- 1734 : Traité de métaphysique
- 1736-1737 : Éléments de la philosophie de Newton
- 1738 : De la Gloire ou entretien avec un Chinois
- 1742 : Sur les contradictions de ce monde
- 1742-1745 : Les Pourquoi
- 1745 : Relations touchant un maure blanc amené d’Afrique à Paris en 1744
-
- Religion :
- 1742 : Du Fanatisme
- 1742 : Sur le théisme
- 1748 : De l’Alcoran et de Mahomet
-
- Critique littéraire :
- 1734 : La vie de Molière
- 1736 : Utile examen des trois dernières épitres du sieur Rousseau
- 1738 : Vie de monsieur Jean-Baptiste Rousseau
- 1738 : Conseils de Voltaire à Helvétius sur la composition et sur le choix du sujet d’une épitre morale
- 1739 : Mémoire sur la satire
- 1740 : remarques sur deux épitres d’Helvétius
- 1740 : Lettre sur les inconvénients attachés à la littérature
- 1740 : Fragment sur la corruption du style
- 1744 : Sur l’esprit
- 1745 : Sur la fable
- 1745 : Sur la police des spectacles
- 1748 : Sur l’Anti Lucrèce de monsieur le cardinal de Polignac
- 1749 : Lettre à messieurs les auteurs des Etrennes e la Saint Jean et autres beaux ouvrages
- 1749 : Dissertation sur les principales tragédies, anciennes et modernes, qui ont paru sur le sujet d’Electre et en particulier sur celle de Sophocle
- Histoire
- 1742 : remarques sur l’histoire
- 1744 : Sur les événements de l’année 1744 (discours en vers)
- 1744 : Nouvelles considérations sur l’histoire
- 1745 : Le poème de Fontenoy
- 1746 : Anecdotes sur Louis XIV
- 1747 : Lettre à son Altesse sérénissime madame la duchesse du Maine sur la victoire remportée par le roi à Laufelt
- 1748 : Éloge funèbre des officiers qui sont morts dans la guerre de 1741
- 1748 : De Cromwell
- 1749 : Des Mensonges imprimés
- 1749 : Éclaircissements sur quelques charges de la maison du roi
-
- Économie :
- 1736 : Le Mondain (poème)
- 1738 : Sur messieurs Jean Law, Melon et Dutot
- 1749 : Lettre à l’occasion de l’impôt du vingtième
- 1749 : Des Embellissements de la ville de Cachemire
- 1749 : Des Embellissements de la ville de Paris
- Contes :
- 1735 : Le Comte de Boursoufle (tiré de la pièce éponyme)
- 1737 : Songe de Platon
- 1747 : Zadig ou la destinée
- 1748 : Le Monde comme il va
- 1749 : Mémnon ou la sagesse humaine
- Sciences :
- 1737 : Essai sur la nature du feu et sur sa propagation
- 1738 : Lettres à monsieur Rameau
- 1738-1740 : Lettre sur Roger Bacon
- 1739 : Mémoire sur un ouvrage de physique de madame la marquise du Chatelet
- 1741 : Doutes sur la mesure des forces motrices et sur leur nature
- 1741 : Exposition du livre des institutions de physique
- 1745 : Dissertation sur les changements arrivés dans notre globe et sur les pétrifications qu’on prétend encore en être des témoignages
- * Discours :
-
- 1737-1738 : Discours en vers sur l’homme (épitre en vers)
- 1746 : Discours de monsieur de Voltaire à sa réception à l’Académie française prononcé le lundi 9 mai 1746
- 1748 : Panégyrique de Louis XV
- 1749 : Panégyrique de Saint Louis
- 1749 : Compliment fait au roi par monsieur le maréchal duc de Richelieu
* Polémique :
- 1733 : Lettres à un premier commis
- 1733 : Épitre sur la calomnie
- 1734 : La Mule du Pape
- 1736 : Discours de monsieur de Voltaire en réponse aux invectives et outrages de ses détracteurs
- 1736 : La Crépinade (poème satirique)
- 1738 : Le Préservatif ou critique des observations sur les écrits modernes
- 1739 : Mémoire du sieur de Voltaire
- 1739 : L’Anti-Giton (poème)
- 1742 : Conseils à monsieur Racine sur son poème de la religion, par un amateur des Belles-Lettres
- 1746 : Cosi-Santu
- 1749 : Vie de Paris et de Versailles (poème en vers)
- Politique :
- 1736 : Au Prince royal de Prusse sur l’usage de la science (épitre en vers)
- 1738-1739 : Conseils à un journaliste
- 1739 : fragment d’une lettre sur un usage très utile établi en Hollande
- 1740 : Épitre à un ministre d’état sur l’encouragement des arts (en vers)
- 1740 : L’Anti-Machiavel
- 1740 : Sommaire des droits de sa majesté le roi de Prusse sur Herstall
- 1742 : Sur ce qu’on ne fait pas et sur ce que l’on pourrait faire
- 1745 : Lettre du roi à la szarine[1] pour le projet de paix
- 1745 : Manifeste du roi de France en faveur du prince Charles-Edouard
- 1745 : Représentation aux états généraux de Hollande
[1] Ecrit ainsi dans le texte de Voltaire
IV – Extraits d’œuvres sur la Haute-Marne
Voltaire a beaucoup écrit à Cirey mais peu écrit sur Cirey. C’est essentiellemnt dans sa correspondance qu’il en fait mention :
« Cirey est charmant, c’est un bijou. » (In Lettres, vers 80.)
« Tout en elle (N.B. : Madame du Châtelet ) est noblesse, son attitude ses gouts, le style de ses lettres, sa manière se parler, sa politesse… sa onversation est agréable et intéressante. »
V – Les archives d’Émilie du Châtelet
On les croyait définitivement perdues, emportées et détruites par la Révolution. En 1892, le marquis de Damas vend le château de Cirey et s’installe à Rosnay-L’Hôpital, dans l’Aube. C’est là que dans des malles au grenier, on retrouve les archives de la famille des du Châtelet.
Le 29 octobre 2012, la vente aux enchères atteint des records : 961 000 €uros pour des manuscrits de Voltaire, 412 000 €uros pour les Éléments de philosophie de Newton… Le Conseil départemental se rend acquéreur des archives du XIIIe siècle à la Révolution pour 150 000 €uros. On y trouve une foule de rensignements sur les époques concernées : contrats de mariage, commandes, ventes, procès…
Sur ce site, dans les Chroniques littéraires d’Annie Massy, on peut lire un chapitre sur Émilie du Châtelet