Hervé RIBERT (1961)

    L’été 1961 a sans doute laissé aux plus anciens des souvenirs précis. Pour ma mère et mon père, il en fut un qui les accompagna toute leur vie durant. Je suis né le 28 juin de cette année là. Le général De Gaulle était président et le Tour de France allait bientôt faire étape à Nancy.
   Comme tout le monde je suis entré dans l’univers scolaire tout petit et j’en suis sorti au bout de vingt-deux ans. Un peu plus grand, certes, mais toujours avec des rêves plein la tête. Pharmacien, je suis parti faire mon service national à l’Ile de la Réunion. Plutôt sympa le séjour ! Il y a pire.

    À mon retour, c’est là que les choses sérieuses ont commencé. Travailler ! Oui mais à quel prix ? Celui de l’abandon d’un idéal bohème ? Côtoyant de nombreuses personnes, j’ai pu constater le pouvoir salvateur des mots. L’effet placebo du verbe dans toute l’acceptation du terme. J’ai commencé à écrire il y a fort longtemps : des poèmes jetés sur le blanc des paquets de cigarettes pour draguer les minettes. Rarement avec le résultat escompté. Puis vint un ouvrage descriptif détaillé et complet de la maison de ma grand-mère dans les années soixante-dix. Le texte a disparu mais il aurait sans doute plu à un notaire en succession.
   Il fallut attendre janvier 1986 pour découvrir ma thèse de doctorat (Sengs et Ginseng : Science et Sagesse). Un pavé de plus de six cents pages que fort peu de gens ont eu le loisir de lire mais qui m’a permis d’entrer dans une société savante, la SFDP (Société Francophone des Docteurs en Pharmacie). Là j’ai pu rencontrer des personnages tout à fait extraordinaires, notamment des grands écrivains (Jean D’Ormesson, Maurice Rheims, Paule et Jean Fougère, Giscard D’Estaing, Henri et Jean Boiron, Charles Mérieux, Louis Leprince Ringuet, Colette Charlot….). Tous des gens formidables mais ayant su rester simples et plus abordables qu’on le croit.
   C’est aussi l’époque où j’ai croisé le chemin de Chantal Radigois et Janine Dufouil, deux journalistes qui avaient créé plusieurs magazines dont le Pharmascope. J’en fus l’un des rédacteurs.
    En 1990, je devins assistant en pharmacie à Eclaron. Là, j’en profitai pour poser une question à certaines personnes âgées du village : « Dis Mamie Raconte ». Il s’en suivit la parution totalement artisanale d’un ouvrage en collaboration avec Mme Del Ben, préparatrice dans ladite pharmacie. Vendu à l’époque 10 francs l’exemplaire, ce livre offrit localement aux personnes âgées un beau spectacle dont l’écho se fit ressentir dans le Journal de la Haute-Marne.
Devenu aujourd’hui un collector, cet opus demeure l’un des seuls à détenir une fraction somme toute infime de la mémoire de tout un village.
Durant mon séjour dans l’Océan Indien, j’ai eu la chance de partir trois semaines en vacances à Madagascar avec deux copains. L’aventure a donné lieu à la rédaction d’un manuscrit en 1987 dont il n’existe pour l’heure que deux exemplaires dont l’un a disparu avec la romantique personne à qui le récit était destiné. Quoiqu’il en soit, il me fut donné l’occasion d’exploiter la chose lors de diaporamas publics notamment à Louvemont et à Vandoeuvre.

   Chemin faisant, j’avais collaboré dans plusieurs revues. Outre le Pharmascope déjà nommé on trouvera la revue d’Histoire de la pharmacie, celle de la SFDP, l’histoire Médiévale, Vins Magazine avec notamment un article essayant de répondre à la sempiternelle question « le vin est-il un médicament ? ». Tout un programme… qui s’interrompit quelque vingt années durant.
   Je me suis installé en officine de pharmacie à Villerupt, bourgade célèbre pour son festival du film italien. J’ai pourtant participé à quelques concours d’écriture. Certains textes ont fait l’objet d’une publication dans un ouvrage collectif paru à Villerupt avant l’an 2000. Il faut attendre 2006 pour me voir être lauréat avec un court texte intitulé « les Contades ». Mais rien de bien sérieux. Le côté professionnel et ses impératifs ayant eu le dessus.
   C’est en 2009 que cette histoire prend une tournure décisive.
Mon père était très malade. En discutant de ce que je ferais si je vendais ma pharmacie, il me dit : « tu sais écrire, alors écris ».

   Je croyais en une boutade. Mais c’était là une volonté ferme de la part d’un homme au bout du rouleau. Mon père désirait que je devinsse passeur de mémoire. Soit. La chose est plus facile à dire qu’à écrire. Alors je me suis lancé et l’on peut désormais dire que je suis devenu officiellement écrivain le 21 décembre 2012. Pour certains cela aurait du être la fin du monde. Pour moi ce sera le début d’une histoire que je me souhaite douce, heureuse et prospère avec un recueil de nouvelles intitulé « Ribecla »(voir ci-dessous).

    Mais revenons au vingt-et-unième siècle. A l’heure du tout numérique, je trouve particulièrement reposant de tenir un bouquin dans la main. Pas de connexions superflues. Pas d’écran tactile inutile. Juste le contact de la peau légèrement cornée du doigt sur la texture veloutée du papier imprimé. Et cette odeur d’encre et de colle. Moi cela me rappelle celle des rotatives de l’imprimerie où mon père livrait jadis des lingots de plomb allié à de l’étain et de l’antimoine. Ce que j’aime par-dessus tout c’est lire à haute voix pour bercer et endormir mon fils. Cela me rappelle ma mère dont la voix douce et posée a su me faire aimer le chant des mots, l’harmonie des phrases, la chorale de l’écrit. La chose écrite ouvre les portes d’un univers que l’on croirait ne jamais pouvoir atteindre. Faisons quelques pages ensembles.

À Eclaron (Haute-Marne), le mercredi 26 décembre 2012