Rencontres autour de l’écriture

Une nouvelle activité de l’AHME

      Les écrivains de l’AHME aiment se rencontrer et en ont l’occasion lors des salons et fêtes auxquels ils participent ou de réunions administratives. Mais ce n’est pas assez pour discuter des sujets littéraires qui les intéressent, surtout qu’ils sont géographiquement éloignés les uns des autres.

       Se réunir uniquement pour débattre était donc une demande récurrente de plusieurs écrivains. Paul Sath s’est donc lancé au début de 2024 en organisant ses rencontres à Wassy. Mais le résultat était mitigé : la médiathèque nous accueillait hors de ses horaires d’ouverture au public et le lieu était un peu écarté.

       Éric Guerre a repris l’initiative en 2024 mais cette fois-ci à la médiathèque de Joinville, un lieu plus central en Haute-Marne. Ajoutons que la directrice, Isabelle Grel nous soutient depuis des années et nous accueille dans les meilleures conditions.

       À noter : ces « rencontres » sont publiques et tous peuvent y participer (gratuit).

     Vous trouverez ci-dessous les résumés de nos échanges.

5 novembre 2024 : « Pourquoi j’écris ? »

       Écrire pour un écrivain semble une évidence. Il sait généralement quand il a commencé, quel moment lui est le plus propice à la création, s’il veut continuer ou faire une pause… certes… mais quand il se pose la question du « pourquoi ? » la réponse est plus complexe. Confrontés à cette interrogation, les poètes et prosateurs donnent des réponses personnelles variées.

        La plus évidente est utilitaire : on écrit pour concrétiser et structurer sa pensée, voire garder le plus longtemps possible ses capacités intellectuelles. Mais elle est loin d’être satisfaisante car dans ce cas, faire des exercices suffirait sans se donner la peine d’achever une œuvre. La réflexion conduit plus loin.

       Plusieurs s’accordent à dire que l’écriture leur permet d’entrer dans un autre monde voire de reconstruire une réalité plus belle qu’elle n’est. Mais se pose alors le problème de l’écriture thérapeutique, lorsqu’on prend le crayon ou tape un texte en guise d’exutoire, pour extirper son mal être, se défouler et s’abandonner à un délire spontané. Mais cette catharsis est-elle un art créatif tel que le conçoit l’écrivain ? La littérature n’impose-t-elle pas un recul par rapport à son sujet ? Et un retour sur la création par des relectures et des aménagements ressentis comme des améliorations ? Écrire uniquement son mal être laisse l’auteur enfermé sur lui-même alors que l’écrivain garde le but d’être lu par d’autres, de voir son œuvre éditée et diffusée. L’écriture se conçoit alors comme un partage, un échange, une ouverture.

        Écrire est un besoin pour son auteur, une nécessité impérieuse qui prend son origine dans les profondeurs de l’être et dans la lointaine enfance. Marguerite Duras aurait dit qu’il faut choisir entre écrire ou vivre. Mais les débatteurs du 5 novembre ne sont pas d’accord : bien au contraire, ils vivent par l’écriture, un élan vital qui leur donne la sensation d’exister. Mieux ou pire : on écrit pour laisser quelque chose derrière soi, un legs qui prolongera l’écrivain dans le temps, un espoir de vivre éternellement ! Faire naitre une œuvre comme on met au monde un enfant qui perpétuera une part de nos gènes. L’orgueil insensé mais tout aussi impérieux du créateur ! Il en est de même pour tous les autres arts notamment la peinture et la musique : les efforts pour générer sont comparables tout autant que la nécessité de s’y adonner.

(Compte-rendu par Annie Massy)

Réactions postérieures à ce compte-rendu :

       « En ce qui me concerne, l’écriture est surtout le prolongement de mes rêves, de mon imaginaire. Parfois, le ressenti d’un évènement survenu dans ma vie. Je transpose aussi ces sentiments dans ma musique. Je crois que cela se ressent dans mes poèmes. J’ignore si mes textes ont une quelconque valeur, mais ce n’est pas le plus important. J’y ai vidé le surplus de mon moi. » Jean-Marie Ménard

14 janvier 2025 : « Y a-t-il de mauvais livres ? »

Pour faciliter la discussion, les participants s’accordent à restreindre le débat au seul roman.

      C’est quoi un mauvais livre ? Question simple qui rappelle les devoirs du lycée ! Quoique… ce n’est pas si évident qu’il ne parait. Pour préparer la séance, Éric Guerre a cherché dans sa bibliothèque des ouvrages qui mériteraient ce qualificatif… mais il s’est heurté à une difficulté logique : on ne conserve pas les livres que l’on juge ainsi !

      Certes il y avait bien une romance, un genre qu’il ne lit pas mais elle était écrite par sa fille et finalement, il s’est efforcé d’ouvrir les pages et s’est laissé entrainer par le récit qu’il a trouvé agréable. Que dire de Proust, que tous connaissent mais n’ont pas forcément lu ? Lolita de Vladimir Nabokov ? Ce roman a été couvert d’une aura sulfureuse à cause de son sujet, la pédophilie. Depuis l’écrivain s’en est expliqué et il faut reconnaitre que son style et la richesse de son vocabulaire peuvent charmer. Le sujet monstrueux est présenté avec un tel talent qu’on ne juge pas forcément le livre, amoral dans sa globalité.   

      Certes, il existe des livres de débutants avec une construction invraisemblable, des erreurs de style, un ensemble qui reflète un travail d’amateur. Écrire demande du travail : relire et corriger son texte plusieurs fois pour offrir au lecteur un ouvrage bien structuré et au style soigné. Mais force est de reconnaitre que même ce genre de livre peut trouver son lectorat parce qu’il déclenche des émotions et fait ressentir une certaine empathie pour le parcours du protagoniste.

      Certaines œuvres posent problème et même parmi de très célèbres. Acheter un prix littéraire n’est pas un gage absolu de satisfaction. On pense à Marguerite Duras dont le style est pour le moins surprenant. D’ailleurs on se souvient de cette anecdote plaisante : une personne avait envoyé à plusieurs éditeurs, une nouvelle peu connue de cette autrice… qui l’ont tous refusée avec même parfois des commentaires très désagréables. Et pourtant, nombre de lecteurs ne tarissent pas d’éloges sur elle.

      Les participants à la discussion du jour, se posent aussi la question de la traduction : un livre étranger lu en version originale, peut décevoir lorsqu’il est édité en français. Un mot en effet, a été choisi par l’auteur pour sa sonorité et les évocations qu’il suscite. Le remplacer par un autre change l’effet voulu à l’origine.   

      En fait, cette question de « mauvais » livre ramène au lien qui unit l’ouvrage au lecteur. Petit rappel sur les fonctions de la littérature : faire rêver, éduquer, charmer par le style, déclencher des émotions, permettre à l’auteur de d’exprimer ce qui est essentiel pour lui, diffuser des idées. Dans cette optique, un « mauvais » livre est celui qui ne répond pas aux attentes du lecteur. Ainsi les « incontournables » de notre littérature lus par nécessité au lycée, ont pu ennuyer les étudiants : la longueur des descriptions et des explications de Zola par exemple, peut rebuter. Mais quelques années plus tard, avec plus de maturité, un déclic peut advenir et susciter de nouvelles sensations : c’est ainsi que lecteur se sent submergé d’émotions face au monstre mythique qui engloutit les mineurs dans Germinal. Le contraire est vrai aussi : un livre que l’on a apprécié adolescent, se révèle fade lorsqu’on le reprend quelques années après.

     Il n’a pas été possible de donner une définition claire du « mauvais » livre lors de la discussion. Par contre, il est apparu qu’un « bon » livre se mérite : il faut savoir entrer dans les pages, comprendre et accepter l’intention de l’auteur. Par exemple, saisir que l’intérêt de Proust réside d’abord dans l’atmosphère du monde qu’il reproduit et non dans les péripéties des héros. Mais encore faut-il avoir fait l’effort de se plonger dans sa lecture et d’avoir persisté pendant quelques dizaines de pages avant d’être emporté par le tourbillon du monde proustien. Il faut également prendre en compte le moment de l’écriture, replacer l’intrigue dans les préjugés de l’époque et par rapport au vécu de l’auteur.

     Un livre en fait, a deux créateurs : l’écrivain et le lecteur. Leurs rapports, leur entente, les efforts des deux pour répondre aux attentes de l’autre et l’alchimie qui en nait, font qu’un livre est jugé bon ou mauvais.  

(Compte-rendu écrit par Annie Massy)

25 février 2025: « Écriture et solitude »

       Rousseau dans Les Rêveries d’un Promeneur solitaire donne sa réponse : il est viscéralement attaché à sa liberté de mouvement, faisant des centaines (voire plus) de kilomètres à pied pour profiter pleinement de la nature et des rencontres imprévues. Mais pour écrire, il a besoin de s’enfermer seul dans une pièce. Qu’en est-il de l’écrivain contemporain ? 

         Tous les participants à la rencontre du jour sont unanimes : ils ont besoin de s’isoler pour écrire, de former une bulle autour d’eux où l’esprit se libère dans une décontraction totale : moment privilégié dédié à soi-même. Ce peut être dans un bureau silencieux et strictement réservé à cette activité mais aussi dans des endroits plus improbables comme… sa baignoire, lieu clos où l’on peut écrire sur sa tablette. Certains, paradoxalement, doivent sortir de chez eux et aller trouver dans un café, ce cocon où ils seront à l’aise. Tant qu’il ne participe pas à une conversation précise, peu importe le bruit autour, le monde, la musique : l’écrivain se concentre et se livre à sa jubilation de jouer avec les mots. Pour les uns, des coupures avec la réalité ambiante, sont possibles ; pour d’autres, il faut du temps devant soi, oublier la montre et les rendez-vous imposés, pour pouvoir se livrer à leur activité créatrice. Parfois même, certains ont des rituels avant de s’installer dans leur monde littéraire : déjeuner avant, aérer la pièce, ouvrir ou fermer des volets…

          Mais l’écrivain dans sa bulle est-il vraiment seul ? Rimbaud parlait des « poètes de sept ans » mais personne n’a jamais encensé les très jeunes écrivains. Pour arriver au bout d’un roman ou d’un essai, il faut des années d’expériences, de rencontres, de discussions, de lectures, de voyages, d’études diverses… des déceptions aussi et parfois une réussite… de là nait l’inspiration et se forgent les personnages et leurs péripéties. Dans sa bulle créatrice, l’écrivain est enfermé dans une solitude physique mais il a confiné avec lui sa propre culture. Où commence alors l’acte d’écrire ? N’est-il pas déjà entamé à l’extérieur quand l’esprit se gonfle d’idées, d’expressions de sentiments, de scènes de la vie courante, d’actualités ou de notes historiques ? D’ailleurs, certains auteurs ont déjà leur prochain livre structuré dans leur tête avant de rédiger la moindre phrase qui en fera une réalité physique. En fait, dans sa bulle, le vécu et la pensée de l’écrivain s’invitent en immixtion : ses références se mélangent et se condensent pour inventer sur papier ou clavier, une œuvre où l’auteur se meut au milieu de ses personnages, comme un sculpteur qui sortirait peu à peu du marbre, une gracieuse forme imitant à merveille la vie.

          Mais quelle est la place du lecteur dans cette bulle conceptrice ? Ne nous en voulez pas, chers lecteurs, mais à ce moment de la genèse d’un livre, l’écrivain n’est qu’avec lui-même et se ferme à toute discussion avec autrui. C’est en tout cas le grand privilège des créateurs amateurs, au sens noble du mot (= qui aiment) même s’ils cherchent à faire une œuvre la plus réussie possible avec des phrases qui sonnent bien pour faire passer leur pensée. Lorsque l’on n’est pas professionnel, pas obligé de fournir à son éditeur un certain nombre de pages à date fixe pour pouvoir en vivre, on ne cherche pas à séduire, on sait et on admet que l’on ne peut pas plaire à tout le monde ; si seulement un nombre réduit de lecteurs sont contents, on s’en satisfait volontiers. L’amateur a le grand privilège de pouvoir être sincère. Mais lorsqu’il quitte sa bulle, comme un papillon sort de sa chrysalide, il rencontre le lecteur et en fait un moment privilégié absolument unique.

(Compte-rendu: Annie Massy)

8 avril 2025 : « Livres marquants, livres oubliés » »

La thématique « livres marquants, livres oubliés » se voulait ouverte sur les mondes intérieurs de chacun des participants.

Le ton est donné par un livre de contes que M. sort de son sac. C’est un trésor de son enfance, un secret intime. Ses mains, par le soin qu’elles mettent à le manipuler, révèlent à elles seules combien nous pouvons entretenir, avec un livre marquant, un lien émotionnel puissant. 

Les aléas de notre discussion nous ramèneront, via Bayeux et le pays Senoufo en Côte d’Ivoire, sur nos terres gauloises avec les souvenirs communs d’Astérix, teinté de l’esprit de Goscinny. La lecture est aussi un outil du lien social. 

À plusieurs reprises, la thématique de la synchronicité est évoquée : un livre marquant, c’est avant tout une rencontre, au bon moment : Ubu roi ou Le Grand Meaulnes par exemple, ont pu marquer profondément des esprits adolescents, ayant la capacité de s’émouvoir intensément ; tel livre, découvert lors d’une rencontre amoureuse, peut se trouver à jamais marqué par les émotions de cette période particulière ; tel autre, livre de CP, a imprimé dans notre esprit d’enfant l’émerveillement de la découverte du fonctionnement de ce code merveilleux.

Une autre thématique de notre discussion est celle du livre-compagnon, que l’on garde à portée de main, que l’on relit parfois, ou dans lequel on va piocher, au hasard, une ou deux phrases qui nous donneront à réfléchir.

Cette idée nous mène naturellement vers celle de la rencontre, non pas avec le livre, mais avec l’auteur, dont on va lire un certain nombre d’œuvres pour le plaisir de retrouver son style ou de se plonger dans son univers. On retrouve là le compagnon, qui révèle une expression particulière dans le domaine des valeurs humaines. Par exemple, rencontrer une Benoîte Groult ou une Simone de Beauvoir qui nous confortent dans le champ des idées féministes, n’est-ce pas rencontrer quelqu’un qui nous ressemble, voire quelqu’un qui peut définitivement rompre un sentiment de solitude ? Baudelaire l’avait senti, qui terminait son introduction des Fleurs du mal par cet alexandrin : « hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère ». 

La question qui suit naturellement ces réflexions se centre sur la transformation : est-ce que les livres marquants nous aident à être ce que nous sommes ? Sans doute nous aident-ils à mettre des mots sur ce que nous sommes, sur ce que nous voulons. Mais il est des livres auxquels on n’est attaché que pendant un temps et qu’on abandonne, allant jusqu’à en oublier le titre et le nom de l’auteur, quand bien même on sait qu’ils ont un jour compté pour nous. 

Peut-être certains de ces livres-là, ces livres oubliés, sont-ils finalement, eux aussi, des livres marquants, des compagnons de vie, ayant l’inestimable pouvoir de nous aider à tourner la page.

(Compte-rendu : Éric Guerre)

20 mai 2025 : « Peut-on se passer des livres ? »

      La question est simple mais la réponse complexe.

    A priori non : aucun des participants à cette « rencontre autour de l’écriture », ne vit sans livre. Mais il est vrai aussi que s’ils y viennent, et à fortiori dans une médiathèque, c’est qu’ils sont d’emblée intéressés par l’écriture, la lecture et plus largement la culture. La plupart privilégient un temps et un endroit particuliers : le soir, au lit avant de s’endormir. (On lit au lit : le vocabulaire provoque un lapsus des plus révélateurs !) Ils cherchent à s’évader ou se documenter, par plaisir et pour apprendre. L’objet livre peut dans certains cas être le début d’une recherche plus approfondie : on entre dans un roman historique et ensuite on se renseigne plus en détails sur l’époque concernée. Une participante à la « Rencontre » insiste sur la relation physique étroite entre le lecteur et l’objet livre : le plaisir de la sensation du papier en tournant les pages. Le livre génère aussi une expérience personnelle et tous se souviennent d’un titre qui les a marqués, voire a façonné leur vie, leur faisant découvrir l’existence d’un autre milieu plus vaste, plus ouvert. Le livre crée et développe la liberté d’esprit : ce n’est pas un hasard si une dictature naissante commence par les censurer puis les bruler.

      Pourtant, les statistiques du centre national du livre sont inquiétantes, voire alarmantes. Les jeunes lisent de moins en moins : en dix ans, le temps moyen accordé à cette activité a baissé de quinze pour cent. Parallèlement, le nombre d’heures passées sur les écrans augmente. Mais faut-il l’interpréter uniquement négativement ? D’autres statistiques nuancent cette impression de dégradation. Rappelons-nous qu’en 1962, un Français sur deux ne lisait rien, même pas le journal ! À la bibliothèque de l’école ou celle de la commune, les jeunes avaient accès à des livres anciens recouverts parfois d’un papier bleu d’emballage, qui ne donnaient pas envie de les ouvrir. Dans ce domaine comme dans bien d’autres, le « c’était mieux avant » est plus que contestable.

      N’avons-nous pas une vision brouillée du fait de la variété des supports ? On peut délaisser l’objet livre et se concentrer sur une liseuse facile à emporter partout et pouvant emmagasiner une bibliothèque de plusieurs milliers de titres. C’est bien pratique pour un étudiant appelé à passer des heures dans les transports et déménager souvent dans un petit studio. La connaissance se diffuse par d’autres canaux : télévision, internet et depuis peu la fameuse et redoutée I.A (intelligence artificielle) à propos de laquelle nous avons encore peu de recul. C’est plus rapide et avec une diffusion beaucoup plus large que le livre. C’est en quelque sorte une démocratisation de la connaissance. Au fil de l’histoire de l’humanité on a varié les supports physiques d’information : dessins dans les grottes préhistoriques, tablettes d’argile, hiéroglyphes égyptiens, papyrus, vélin, inscriptions sur les monuments, bas-reliefs dans les églises, livres enluminés recopiés à la main puis imprimés, journaux… pour arriver au livre tel que nous le connaissons tous actuellement. À chaque étape s’élargissait le lectorat ; le privilège aristocratique d’accès aux messages écrits, se restreignait au profit d’un plus grand nombre. Les médiateurs qui orientaient les interprétations perdaient en puissance alors que plus de gens pouvaient se former l’esprit plus librement.

     Hélas, cette facilité contemporaine d’accès à davantage de contenus présente les mêmes défauts que le livre mais en multiplie les effets. Les volumes ne sont pas toujours des outils de connaissance : ils ont servi (et servent encore !) à soutenir des dictatures en propageant des messages déformés et censurés. On pense à 1984 de George Orwell mais les censures contemporaines dans de grandes puissances en sont aussi des exemples flagrants. Aujourd’hui les « fakes news » répandent plus largement de fausses nouvelles pour manipuler les esprits et provoquer des réactions violentes et spontanées. Heureusement, les contre réactions et rectifications en font de même mais est-ce suffisant ?

     Le délaissement de l’objet livre est-il donc une régression ou une transformation ? Il est sûr que les nouveaux supports de lecture entrainent des changements. Aurons-nous besoin à l’avenir d’autant de volumes techniques par exemple quand on peut avoir une documentation précise sur internet ? D’ailleurs les thèses sur des sujets précis sont rarement éditées faute d’un nombre suffisant de lecteurs mais on les trouve sur internet. Par contre, les développements imagés des fictions et les nuances de la poésie devraient encore s’exprimer dans les livres. La lecture sur écran semble plus propice à des ouvrages courts et simples d’interprétation car la mémoire est volatile et l’écran n’incite pas à faire des retours en arrière pour comprendre une information lue trop rapidement. Par contre, l’édition numérique permet à des auteurs refusés par les maisons d’édition traditionnelles, de pouvoir tout simplement exister.

     Alors, on en revient à la question de départ : peut-on se passer de livres ? En fait… oui et non ! Pendant des centaines de milliers d’années, on n’en avait pas : la connaissance et la littérature se transmettant par l’oral, l’exemple et l’expérience. Ainsi l’Odyssée d’Homère date du huitième siècle avant notre ère mais n’a été écrite que cinq-cents ans plus tard, à Athènes. Le livre reste néanmoins encore un moyen formidable de plaisir, de connaissance, de formation personnelle et de liberté et il est bien implanté dans notre société.

      Le problème qui se pose, en fait, est moins celui d’un objet que de son usage et son accès. Un enfant ne lit pas de façon innée : il doit l’apprendre ce qui suppose des maitres et une organisation sociale. De même, il ne va pas naturellement vers les objets livres : il a besoin de médiateurs, plus que de prescripteurs, famille, proches, enseignants, qui le conduisent dans les librairies et les médiathèques. Et de même qu’il a dû apprendre à déchiffrer les mots et le sens des phrases, il lui faudra, dans un avenir proche et même déjà actuellement, savoir vérifier les informations, choisir dans la multitude des données, pour ne pas se laisser manipuler par des messages tronqués. Cela non plus n’est pas inné. Les élèves qui croient qu’ils n’ont plus besoin de réfléchir mais simplement d’imprimer un texte ou un résumé, se trompent grossièrement : plus la connaissance est d’un accès facile, plus la réflexion doit se développer pour ne pas se soumettre aux idées d’autrui. La liberté s’acquiert toujours au prix d’efforts.